Les meilleurs livres de la rentrée littéraire 2022

On ne présente plus Toni Morrison. Lauréate du prix Pulitzer pour Beloved en 1988, elle est également la huitième femme et la première écrivaine afro-américaine à recevoir le prix Nobel de littérature en 1993. À sa mort en 2019, elle laisse derrière elle dix romans, des pièces de théâtre, des essais, des livres pour enfants, mais seulement deux nouvelles.

Parmi elles, Récitatif, écrite en 1980 et publiée en 1983, puis traduite en français en 2019 par Christine Laferrière pour la revue America, paraît aujourd’hui aux éditions Christian Bourgois.

Récitatif raconte l’histoire de Twyla et Roberta, deux fillettes de huit ans placées dans un foyer, que l’on suit à cinq périodes différentes de leur vie, sans jamais savoir laquelle est noire et laquelle est blanche.

L’un des points forts de l’ouvrage réside dans ce tour de force de l’autrice à entretenir le mystère et ne divulguer aucun indice au lecteur. Avec une narration simple portée par un texte magnifique et superbement traduit, Toni Morrison prend un malin plaisir à brouiller les pistes pour jouer avec les codes raciaux et passer au crible la société américaine.

Bien qu’écrite il y a plus de quarante ans, la nouvelle se révèle étonnamment moderne et aborde des thématiques qui agitent encore notre société actuelle : traumatisme de l’esclavage, racisme, mémoire et identité, violence, place des femmes dans l’histoire ou encore richesse de la culture africaine-américaine, si présente dans l’ensemble de l’œuvre de la romancière.

En revanche, les lecteurs qui découvrent Toni Morrison peuvent être rebutés par la complexité du texte. La postface de l’écrivaine britannique Zadie Smith s’avère également un peu ardue pour les non-initiés et nécessite de se documenter pour l’appréhender dans sa globalité.

Dans notre recherche, nous avons également analysé Zizi Cabane de Bérengère Cournut, qui conte le destin de trois enfants livrés à eux-mêmes après la disparation inexpliquée de leur mère. La fratrie va devoir apprendre à vivre avec le manque et s’organiser pour affronter le quotidien. Un récit plein de fantaisie qui nous transporte du monde de l’enfance jusqu’aux terres du Grand Nord.

Avec La nuit des pères, Gaëlle Josse nous plonge dans l’intimité de deux enfants et de leur père, détruit par un événement qui ronge sa conscience depuis sa jeunesse. Court et intense, ce roman écrit sous forme de journal traite de l’ambivalence des sentiments familiaux et des violences invisibles pour interroger nos choix, nos fragilités et le cours de nos vies.

Enfin, dans Ils vont tuer vos fils, Guillaume Perilhou nous embarque dans la tête de Guillaume, qui est trop tout : trop amoureux, trop extravagant, trop libéré, trop vivant, aime porter les jupes de sa mère et embrasser d’autres garçons. Ce premier roman construit comme un monologue intérieur évoque avec beaucoup de justesse le malaise adolescent et la construction de l’identité.

Lauréat du Prix Renaudot 2006, écrivain renommé dans le monde entier, professeur de littérature à la prestigieuse université américaine UCLA et directeur de la collection Points Poésie, Alain Mabanckou a plus d’une corde à son arc.

Après avoir quitté la République du Congo (Congo Brazzaville à l’époque) il y a plus de trente ans, l’auteur passe ensuite sa vie d’adulte entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Toutefois, chacun de ses ouvrages constitue un éternel retour à son pays natal, ses racines africaines et ses souvenirs d’enfance.

Avec Le commerce des allongés (Seuil), l’écrivain franco-congolais aborde une nouvelle fois ces thématiques qui lui sont chères et signe un grand roman social, politique et visionnaire.

Le lecteur suit l’histoire de Liwa Ekimakingai (qui pourrait être traduit en français par « la mort ne veut pas de moi ») commis de cuisine dans un hôtel de Pointe-Noire, ville natale de l’auteur et capitale économique de la RDC. Alors qu’il habite chez sa grand-mère, car sa mère est morte en lui donnant la vie, Liwa rêve de rencontrer l’amour. Le 15 août, fête de l’indépendance du pays, il revêt ses plus beaux habits et part danser en boîte de nuit. Il y perdra la vie ce soir-là (dans des circonstances tenues secrètes jusqu’aux dernières pages du livre.) Mais à peine enterré, Liwa ressort de sa tombe…

Tout au long de l’ouvrage, Alain Mabanckou nous fait découvrir les rites funéraires et les croyances de son pays, gangréné par la corruption et régi par divers guérisseurs, féticheurs ou “sorcières de maison ». Avec une écriture poétique qui mêle satyre et burlesque, l’auteur nous fait voyager au royaume des morts, où la lutte des classes perdure, et bouscule les frontières entre fiction et réalité, intime et politique, et morts et vivants.

Toutefois, si vous n’aimez pas les histoires de défunts et de sorcellerie ou êtes un cartésien invétéré, vous aurez sans doute du mal à vous laisser embarquer par l’histoire.

Dans notre recherche, nous avons également analysé Le livre des sœurs d’Amélie Nothomb. Après Premier sang, vainqueur du prix Renaudot 2021, l’écrivaine belge revient avec un nouvel opus qui analyse l’amour filial avec justesse et émotion. Ce récit puissant repose sur la force de deux sœurs, unies face au désamour de leurs parents. Avec un style hors-norme et si reconnaissable, l’autrice questionne la possibilité de s’épanouir véritablement en tant qu’adulte quand on a manqué d’amour en tant qu’enfant.

Né en 1946 à Beyrouth de parents juifs syriens, Sélim Nassib a travaillé comme correspondant pour Libération pendant la guerre du Liban. Il la revisite aujourd’hui dans Le Tumulte, fiction largement autobiographique qui raconte la vie d’une famille juive bouleversée par les événements de l’Histoire. Le narrateur Youssef, lui aussi journaliste pour un quotidien français, nous fait découvrir trois tableaux (1956, 1968 et 1982, date de l’invasion du pays par Israël), de sa scolarité chaotique à sa fascination pour les femmes qui l’entourent. Un roman dense et puissant.

Premier roman de l’autrice afro-américaine Leila Mottley (écrit à 17 ans, elle en a 19 aujourd’hui), Arpenter la nuit suit une jeune Californienne de 17 ans, Kiara, contrainte de se prostituer pour éponger les dettes de sa famille (son père est mort et sa mère est en prison). Elle se met alors à « arpenter la nuit » à Oakland avant de se faire embarquer par la police. Cette fiction marquante et inspirée de faits réels traite sans détour des violences sexistes, policières et racistes.

Impossible de passer à côté de Cher connard, nouveau roman de Virginie Despentes, qui occupe tout l’espace médiatique en cette rentrée littéraire. En effet, chaque nouveau titre de l’écrivaine-star fait figure d’événement dans la presse et les librairies.

D’abord boudée par le milieu de l’édition, la Nancéienne de naissance est aujourd’hui l’un des auteurs les plus vendus en France et a reçu une dizaine de prix littéraires pour ces différentes œuvres. Avec ce dernier opus, l’autrice propose un roman épistolaire contestataire au style cru, électrique et cinglant qui fait sa marque de fabrique.

Sur Instagram, l’écrivain branché Oscar Jayack critique la star de cinéma Rebecca Latté, pour ses rides, ses kilos en trop et sa peau flasque. Piquée, elle décide de prendre sa plume pour lui répondre. Les deux protagonistes se livrent alors un combat des mots musclé jusqu’à développer une forme d’amitié voire d’addiction pour cette relation improbable, si précieuse en temps de confinement.

Comme à son habitude, Despentes s’illustre par sa virtuosité à atomiser les codes et les conventions pour aborder de nombreuses thématiques à la fois intimes et universelles : #MeToo, le féminisme, le sexisme, l’agisme, la redéfinition de la masculinité, la violence des réseaux sociaux, le libéralisme, mais aussi la difficulté de vieillir ou l’héritage transmis aux jeunes générations.

Sans jamais sombrer dans la caricature, elle dépeint des êtres humains, pétris de leurs contradictions et de leur vulnérabilité. À quelques reprises, on se surprend même à se prendre d’empathie pour le personnage d’Oscar, pourtant assez imbuvable.

Néanmoins, Cher connard ne plaira pas à tout le monde en raison de sa langue particulière et de son style très marqué. De même, sa dimension engagée ne fera pas l’unanimité.

Dans notre recherche, nous avons également analysé Chien 51 du Parisien Laurent Gaudé, dystopie très réussie qui se déroule dans une Grèce au bord de la faillite. On suit ici le parcours de Zem Sparak, militant politique qui a trahi son camp et est devenu policier. Un thriller d’anticipation sombre et dynamique qui se lit très facilement et nous transporte entre passé et présent, mémoire et futur pour interroger les valeurs de transmission.

La Petite Menteuse de la journaliste et chroniqueuse judiciaire Pascale Robert-Diard raconte l’histoire d’une collégienne, Alice, qui accuse un homme de l’avoir violée. Après un procès express, l’homme est jugé coupable et envoyé en prison. Des années plus tard, alors qu’il fait appel de la décision, Alice avoue avoir menti. Juste et nuancé, ce roman évite habilement le piège des généralités : il ne s’agit pas de remettre en cause la parole des victimes, mais bien de raconter le cheminement d’Alice et de comprendre les raisons de son mensonge pour enfin dévoiler sa vérité.

Révélée par Le Bal des folles, prix Renaudot des lycéens, traduit en 25 langues, adapté au cinéma par Mélanie Laurent et en bande dessinée, Victoria Mas signe ici son second roman intitulé Un miracle. L’autrice native des Yvelines nous emmène sur une île du Finistère Nord au cœur d’une nature sauvage et déchaînée, terreau de mystères et de prophéties : une religieuse persuadée que la Vierge va lui apparaître et un adolescent qui raconte avoir eu une vision… Un récit polyphonique dont on se délecte du début à la fin.

Fable écologique cruelle, naturaliste et fantastique, Biche nous plonge au cœur de la forêt et d’une nature en émoi.

Un dimanche d’automne, Gérald s’apprête à partir à la chasse accompagné du jeune Basile, qui vit sa première battue. Pendant que les traqueurs rabattent le gibier sous les ordres de l’autoritaire Linda, Alan, le garde forestier, tente de protéger les bêtes et de dénicher des endroits où elles peuvent se réfugier.

Face aux chasseurs, des biches, des faons et des cerfs qui rôdent en cette saison du brame. Une jeune biche, héroïne de l’histoire, surveille l’avancée des chasseurs et veille sur ses congénères, dont la doyenne Élisabeth, malade et affaiblie, qui vit ses derniers instants. Alors qu’un orage approche, le troupeau s’organise et la jeune biche entend bien s’opposer à la loi des chasseurs.

Premier roman à paraître aux Livres Agités, nouvelle maison d’édition réservée aux primo-romancières, cette fiction de Mona Messine croise les points de vue pour raconter le huis clos féroce d’une partie de chasse.

Pour illustrer la violence des chasseurs, l’insoumission de la nature et l’inversion des rapports de force, l’autrice alterne savamment entre passages incisifs et poétiques et suspens et émotion. Avec ce texte rythmé et indigné, le lecteur prend conscience que la nature ne lui est pas acquise et que la terre peut gronder sous nos pieds d’humains.

Dans notre recherche, nous avons également analysé On était les loups de Sandrine Collette. Liam, de retour des forêts montagneuses où il est parti chasser, ne trouve plus son petit garçon de cinq ans, Aru. Dans la cour, il découvre les empreintes d’un ours. À côté, sous le corps inerte de sa femme, son fils, vivant et terrifié. Convaincu que ce monde sauvage n’est pas fait pour un enfant, il confie Aru à d’autres adultes et se lance dans un long voyage à cheval où il devra affronter la nature sauvage, sa rage et sa douleur. Un roman magnifique à lire en apnée.

Avec Qui se souviendra de Phily-Jo ?, le novelliste français Marcus Malte livre un roman passionnant et bien ficelé sur le pouvoir des géants de l’électricité. En 1997, Phily-Jo meurt dans des circonstances étranges. Bien que l’enquête officielle conclut à un accident, son beau-frère, Gary Sanz, n’y croit pas. En effet, Phily-Jo avait créé le FreePow, une invention écologique qui menaçait le monopole des multinationales de l’énergie et mettaient leurs profits en péril…

Vous raffolez de sagas historiques et familiales qui courent sur plusieurs générations et continents ? Faire bientôt éclater la terre est fait pour vous ! Ce roman de l’écrivain américain Karl Marlantes nous transporte de 1891 à 1979, dans la diaspora finlandaise, sur fond de luttes syndicales et de communisme.

Le lecteur y suit les aventures de deux frères, Ilmari et Matti, et de leur sœur Aino qui émigrent dans une colonie de bûcherons aux États-Unis pour fuir l’oppression russe du début du XXe siècle.

Illmari devient alors bûcheron, un métier ardu et dangereux, mais valorisé pour son image virile et patriotique, et décime des forêts entières d’arbres millénaires. Il est rejoint par Matti, contraint de quitter la Finlande, car menacé de prison après une altercation avec un officier russe. Enfin, Aino, héroïne incontestée du roman, retrouve ses frères après avoir été torturée par les services secrets russes pour ses accointances communistes.

Grande fresque historique, politique et sociologique, cet ouvrage offre une analyse précise et très bien documentée d’une Amérique en pleine mutation au début du XXe siècle à travers le regard d’immigrés scandinaves.

L’auteur décrit aussi bien la beauté des forêts que les ravages causés par leur exploitation dans un pays où les intérêts s’opposent, en particulier ceux des patrons et des ouvriers. Avec tous les rebondissements dignes d’une bonne saga familiale, le lecteur est happé par l’histoire et cet amour fraternel plus fort que tout.

En revanche, le livre s’avère dense et ses 608 pages peuvent rebuter certains lecteurs.

Dans notre recherche, nous avons également analysé Les Tourmentés de Lucas Belvaux. Le célèbre réalisateur belge signe un premier roman très cinématographique où l’argent peut tout acheter. Pour se divertir, une femme très riche souhaite organiser une chasse à l’homme, au sens propre du terme. Elle demande à Max, son homme à tout faire, de dénicher une « proie », qui sera très grassement rémunérée. Max recrute alors l’un de ses amis ancien légionnaire. Un thriller palpitant à la fois sombre et lumineux.

Avec Les reines, l’historienne et scénariste belge Emmanuelle Pirotte nous embarque dans une épopée grandiloquente aux enjeux shakespeariens. Alors que notre civilisation a été anéantie par l’intelligence artificielle, apparaît un nouveau monde dans lequel l’humanité a renoncé au progrès matériel et retiré aux hommes leurs privilèges. Le pouvoir est désormais déténu par les femmes, des reines autoritaires dignes de tragédies grecques, souvent animées par la jalousie et la passion. Du grand spectacle.

Enfin, Les affinités sélectives suit le quotidien d’Elisabeth, brillante journaliste new-yorkaise récemment installée dans une banlieue huppée, qui se lie d’amitié la baby-sitter de son bébé. L’écrivaine américaine J.Courtney Sullivan livre ici une comédie de mœurs drôle et acerbe qui décortique les dynamiques de pouvoir dans le microcosme privilégié d’une petite ville.

Après le savoureux Jefferson paru en 2018, Jean-Claude Mourlevat revient avec Jefferson fait de son mieux, nouvelle enquête menée tambour battant par le hérisson détective.

Adaptée aux enfants à partir de 9 ans, cette fable policière tendre, fantaisiste et pleine de rebondissements s’avère un pur délice pour les petits et les plus grands.

Votre enfant ne connaît pas le premier opus ? Pas de panique ! Il pourra aisément suivre l’histoire de Jefferson fait de son mieux sans avoir lu les précédentes aventures du petit mammifère piquant. Pour leur part, les adeptes du héros retrouveront avec plaisir certains de ses acolytes, dont le désopilant cochon Gilbert, son meilleur ami.

Pour cette nouvelle enquête, Jefferson part sur les traces de Simone, lapine dépressive kidnappée par une secte. Si l’histoire aborde principalement le thème de la solitude, elle évoque également la question des préjugés et de la confiance de manière humoristique.

L’auteur, lauréat 2021 du prix commémoratif Astrid-Lindgren (Nobel pour la littérature jeunesse), nous régale de dialogues drôles et subtils. Il dépeint des humains obnubilés par le profit, calculateurs et cyniques, alors que les animaux font preuve d’empathie et de belles qualités « humaines ». Autant de valeurs que votre enfant découvrira avec plaisir et éclats de rire.

Dans notre recherche, nous avons également analysé Tibi la Blanche d’Hadrien Bels. Adapté aux lycéens, ce deuxième roman de l’écrivain marseillais nous emmène à Dakar. Trois ados attendent fébrilement les résultats du bac, véritable Graal qui leur permettrait de partir en France. En jouant sur différents registres de langues, ce récit authentique et rythmé traite habilement du moment charnière de la fin du lycée, synonyme d’entrée dans la vie adulte.

Dédiée aux enfants de 3 à 5 ans, La forêt, l’ours et l’épée de Davide Cali et Regina Lukk-Toompere aborde intelligemment les questions de la violence et de la vengeance. Furieux en voyant sa maison détruite, Ours part à la recherche du responsable. Mais si le coupable n’était pas celui que l’on croit ? Accompagné de belles illustrations, cette bande dessinée pleine d’humour démontre notamment que le fait de se sentir puissant et invincible ne justifie pas l’usage d’une arme.